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Mercedes Erra, rendre des comptes de manière non bullshit sur son impact sans être accusé de greenwashing
No Bullshit
(7 mins)
Cette interview vous est présentée dans le cadre de “No Bullshit”, le média lancé par Captain Cause. Son ambition ? Être un shot d'inspiration pour mettre en avant les (bons) exemples des marques de demain ! Pour le quatrième épisode, on s’intéresse aux marques qui communiquent de manière non bullshit !
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.Comment débuter cette nouvelle année… si ce n’est avec quelques prédictions ? On a eu le plaisir d'interviewer l’une des meilleures expertes de la communication,
Mercedes Erra
, la fondatrice et présidente de BETC
. Au programme de cette interview exclusive : la manière dont les marques peuvent et doivent rendre des comptes, l’importance de répondre, de fournir des preuves tangibles, les manières d’éviter le greenwashing, des bons exemples de marques qui sont passées par là…Comment une marque peut-elle rendre des comptes de manière non bullshit sur son impact sans être accusée de greenwashing ?
D’abord, avant de parler de greenwashing, il me semble vraiment important de reconnaître que les entreprises ont considérablement changé durant les dernières décennies et ont massivement intégré l’idée qu’elles ont une responsabilité et un pouvoir de transformation dans les sujets sociétaux et environnementaux. Certaines entreprises ont eu cette intuition tôt, comme Danone - souvenons-nous du discours de Marseille prononcé par Antoine Riboud en 1972 – mais cette conscience s’est vraiment développée sous l’effet de la modification des attentes du public.
Auparavant, les préférences des consommateurs se fondaient quasiment exclusivement sur les produits, leurs bénéfices, et sur l’imaginaire de marque. Désormais, le public s’attache à ce qu’il y a derrière, à l’entreprise, à la façon dont elle produit, dont elle se comporte à l’intérieur comme à l’extérieur, à la façon dont elle s’engage. Le public souhaite que les entreprises excellent dans leur domaine d’abord, qu’elles minimisent leur impact sur la planète ensuite et enfin qu’elles contribuent à la création d'un monde meilleur, mêlant les concepts d'écologie environnementale et humaine.
Pour se prémunir des accusations d’opportunisme et de greenwashing, je crois qu’il y a trois points qu’une entreprise ne doit pas perdre de vue. D’abord, l’engagement le plus fort qu’une entreprise puisse prendre, c’est de bien faire son métier. C’est-à-dire : bien traiter ses employés, bien produire, en ayant conscience de son impact sur la planète et les hommes et en essayant de l’infléchir positivement. Lorsque les marques parlent de changer le monde sans lien immédiat avec leur métier, les consommateurs perçoivent une forme de fausseté, ou de facilité. L’engagement d’une entreprise sera donc plus crédible et plus légitime s’il est en lien avec son activité, ses valeurs, sa raison d’être. À cet égard, l’action de l’Oréal avec l’UNESCO pour les femmes dans les sciences est un exemple de réussite. Dans la course à l’engagement, le risque est de plonger la tête la première dans un combat loin du métier, au détriment de l’authenticité et de la capacité à avoir un vrai impact.
Ensuite, le public, en quête de transparence, veut des explications et des preuves. Donc communiquer clairement sur ce qu’on fait est un passage obligé. Quand la Fondation TotalEnergies pour la jeunesse crée l’école Industreet pour former gratuitement des jeunes en décrochage scolaire aux nouveaux métiers de l’industrie, c’est du concret : chaque année ce sont de nouveaux diplômés. Pour offrir cette transparence, il faut se doter d’outils de mesure et d’indicateurs qui permettent d’avoir des informations chiffrées, concrètes, et donc de nourrir son bilan de preuves. Cela ne prémunit pas les entreprises à 100% des accusations de greenwashing. La même Fondation TotalEnergies peut même être taxée d’opportunisme ou étiquetée de greenwashing. Que voudrait-on qu’elle fasse ? Rien ? Je regrette le mépris et le cynisme avec lesquels certaines initiatives sont immédiatement dénigrées par certains activistes, par principe ou simple opposition. Les entreprises ne partent pas toutes du même endroit, c’est un fait, mais je trouve qu’on gagnerait à encourager les bonnes volontés et à reconnaître le travail et les chemins de progrès.
Aujourd’hui la confiance envers les marques et les entreprises est clé pour la vie économique. Et c’est pour cela que la communication est si essentielle : elle entretient ce dialogue entre les entreprises et le grand public. La publicité́ dans les grands médias a un avantage : elle n’avance pas masquée, elle ne peut pas dire n'importe quoi parce qu'elle est très surveillée, très régulée, contrairement aux réseaux sociaux. Donc, quand vous avancez quelque chose, vous êtes censé pouvoir le prouver. Sinon, vous risquez de vous faire sanctionner. Il y a de nombreux garde-fous : la DGCCRF, l’ARPP – l’instance d’autorégulation de la publicité, l’ARCOM.
Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui souhaitent faire la transition vers une communication plus éthique et responsable ?
Une communication éthique et responsable passera toujours par le respect du public : avoir comme visée de tirer le public vers le haut, en lui offrant quelque chose d’intéressant à voir, à lire, à penser, quelque chose qui lui apporte une solution. Dans cette logique, mon conseil est de s’efforcer de communiquer mieux, parfois moins et de façon plus « tenue ». C’est-à-dire pour les entreprises et les marques, de se fixer un cap, de se poser la question de l’essentialité des messages à délivrer, de ralentir le rythme lorsqu’il est effréné – ceux qui changent de discours en permanence pour coller aux moindres fluctuations de tendances perdent les consommateurs plus qu’autre chose. Lorsqu’une stratégie de communication est bien pensée, fondée sur des attentes profondes des consommateurs, pourquoi ne pas capitaliser sur sa force et la faire vivre dans la durée ? C’est une façon de construire des marques plus fortes et d’économiser des ressources. Voyez l’exemple d’Evian et de la jeunesse à travers vingt ans de saga des bébés, et où nous avons ressorti en 2023 un film de 2014, qui a très bien fonctionné !
Ensuite, il va falloir faire attention à la façon dont les communications sont créées, aux imaginaires qu’elles promeuvent et à la façon dont elles sont produites. De plus en plus d’outils voient le jour, des référentiels, des calculateurs, qui sont là pour piloter l’empreinte des campagnes et guider les communicants vers des pratiques plus responsables.
Dans ce monde en transition, dans lequel les attentes sont fortes il ne faut pas que la peur de ne pas avoir tout fait parfaitement nous empêche de communiquer. La vérité, c’est qu’on n’a jamais tout fait parfaitement. En communication comme en toute chose, il est réaliste de reconnaître que les changements majeurs ne peuvent se faire du jour au lendemain et que le progrès est un chemin constant.
Qu'est-ce qu'être “non bullshit” selon vous ?
D’abord, ce serait agir à l’échelle de l’entreprise, en étant authentique et dans le réalisme.
La grande majorité des individus reconnaissent désormais l'ampleur des problèmes environnementaux mondiaux et comprennent l'importance cruciale des enjeux liés à l'environnement. Cependant, ils sont aussi préoccupés par leurs besoins personnels et les réalités de la vie quotidienne. Cela crée une tension et ils équilibrent entre ce qu’ils sont prêts à faire et ce à quoi ils ne peuvent pas renoncer… Tout en manifestant un intérêt croissant pour un mode de vie plus durable. Résultat : en quelques années, il y a eu des changements significatifs dans les habitudes de consommation. Le vélo, la seconde main, la quête de produits plus durables, se sont développés. De même, l’apparition de contrats de réparation à long terme, comme celui de Darty sur 10 ans. Il y a 10 ans, on aurait difficilement imaginé que les Galeries Lafayette et le Printemps auraient un étage vintage de seconde main ! Ces utilisations deviennent normales et le monde change peu à peu.
La grande majorité des individus reconnaissent désormais l'ampleur des problèmes environnementaux mondiaux et comprennent l'importance cruciale des enjeux liés à l'environnement. Cependant, ils sont aussi préoccupés par leurs besoins personnels et les réalités de la vie quotidienne. Cela crée une tension et ils équilibrent entre ce qu’ils sont prêts à faire et ce à quoi ils ne peuvent pas renoncer… Tout en manifestant un intérêt croissant pour un mode de vie plus durable. Résultat : en quelques années, il y a eu des changements significatifs dans les habitudes de consommation. Le vélo, la seconde main, la quête de produits plus durables, se sont développés. De même, l’apparition de contrats de réparation à long terme, comme celui de Darty sur 10 ans. Il y a 10 ans, on aurait difficilement imaginé que les Galeries Lafayette et le Printemps auraient un étage vintage de seconde main ! Ces utilisations deviennent normales et le monde change peu à peu.
Ce serait ensuite prioriser les champs d’action les plus urgents et impactants, et avoir une politique de moyen et long terme.
Des défis majeurs persistent, notamment dans les domaines de l'énergie et de l'efficacité énergétique des bâtiments. Ces ajustements nécessitent des investissements très coûteux, des politiques étatiques. Tout ne va pas se faire en un jour. Tout ne va pas se régler en France non plus, qui est un pays qui se conduit plutôt bien. Partout, face à ces défis, les entreprises ressentent la pression des consommateurs et des activistes qui les poussent à revoir leurs façons de faire. Ce qui les motive, c'est moins une question de vertu que le besoin réel de coller aux aspirations de la société pour rester en piste.
Des défis majeurs persistent, notamment dans les domaines de l'énergie et de l'efficacité énergétique des bâtiments. Ces ajustements nécessitent des investissements très coûteux, des politiques étatiques. Tout ne va pas se faire en un jour. Tout ne va pas se régler en France non plus, qui est un pays qui se conduit plutôt bien. Partout, face à ces défis, les entreprises ressentent la pression des consommateurs et des activistes qui les poussent à revoir leurs façons de faire. Ce qui les motive, c'est moins une question de vertu que le besoin réel de coller aux aspirations de la société pour rester en piste.
Être no bullshit, ce serait donc accepter la remise en cause des certitudes et des habitudes.
Je suis par exemple impliquée dans une initiative appelée 2050 Now, lancée par Les Échos. On essaie de comprendre comment les entreprises font face à ces enjeux. Ce n’est pas simple, c'est sûr. Mais les entreprises cherchent des moyens de s'adapter, parce qu'elles savent que c'est vital pour rester viables sur le long terme, en répondant aux attentes des consommateurs. Les activistes accélèrent aussi ce processus, même si ça peut parfois créer des tensions… Après, encore une fois, on est en France, un pays très sensibilisé à tous ces problèmes de transition écologique, bien plus que d'autres, comme les États-Unis par exemple.
Je suis par exemple impliquée dans une initiative appelée 2050 Now, lancée par Les Échos. On essaie de comprendre comment les entreprises font face à ces enjeux. Ce n’est pas simple, c'est sûr. Mais les entreprises cherchent des moyens de s'adapter, parce qu'elles savent que c'est vital pour rester viables sur le long terme, en répondant aux attentes des consommateurs. Les activistes accélèrent aussi ce processus, même si ça peut parfois créer des tensions… Après, encore une fois, on est en France, un pays très sensibilisé à tous ces problèmes de transition écologique, bien plus que d'autres, comme les États-Unis par exemple.
Quels sont les meilleurs exemples de marketing responsable que vous avez vus passer ?
TotalEnergies m'interpelle : malgré les réponses parfois vives qu'ils reçoivent, ils ne lâchent pas et semblent persévérer dans la mise en œuvre de leurs actions. La transition énergétique, surtout dans des domaines sensibles comme le pétrole, demande du temps et des ressources. Il est crucial d'encourager les grandes entreprises à investir dans le développement durable tout en préservant notre force économique pour soutenir notre transition et défendre nos valeurs démocratiques sur la scène mondiale. Ils essayent aussi de répondre sur les réseaux sociaux avec le programme « Ask Pouyanné » où les gens posent des questions directes. C'est courageux de leur part.
L'Oréal, de son côté, a vraiment fait des progrès notables dans la réduction de l'utilisation du plastique. Ils ont bien réfléchi, sachant qu'il y a des limites et qu'une approche entièrement sans plastique est sans doute irréaliste. Ils ont pris en compte un maximum de considérations, comme le transport des produits. Au début, cela a suscité des réactions fortes, en interne, mais ils ont orienté toute l’entreprise vers cette quête, et cherché des alternatives. Ils ont aussi travaillé sur la recyclabilité de leurs produits, sur la réutilisation. L'approche de L'Oréal sur ces questions est remarquable, et met également l'accent sur la dépense énergétique. Ils communiquent ces efforts de manière transparente.
Ils ne font pas l'objet d'accusations de greenwashing aussi fréquentes que TotalEnergies dans le secteur énergétique. Les critiques sont moins virulentes dans le domaine cosmétique. Une étude récente a aussi montré que le secteur du luxe, bien que sujet à discussion sur l'origine et la fabrication du cuir, bénéficie d'une perception positive en raison de son engagement envers la durabilité.
Quelles sont les trois grandes tendances de l'évolution d'une com plus responsable selon vous ?
La première tendance de fond, c'est de considérer qu’il faut communiquer. Certains hésitent encore par peur des critiques, mais ne rien dire n’est pas la solution. Il reste crucial de dialoguer avec le grand public, cela relève du respect de ses attentes et de la relation. Deuxièmement, il faut être prêt à fournir des preuves tangibles de ses actions. La troisième tendance, c'est d'accepter que la perfection n’existe pas. Il faut être humble et penser que ce qui est intéressant, c’est la dynamique d’amélioration.
À l’agence, nous appliquons ces principes non seulement pour nos clients mais aussi pour nous-mêmes. Si vous visitez BETC, vous constaterez notre engagement envers la durabilité. On se pose toutes les questions, notamment sur les contenus digitaux, qui se sont multipliés à l’envi, ne sont pas tous utiles, et ont une grosse empreinte carbone, tant en production qu’en diffusion. Est-ce qu'on ne communique pas trop, parfois inutilement ? En termes de contacts, peut-on miser sur la qualité plutôt que sur la quantité et éviter intrusion et matraquage ? **La sobriété de communication est une notion que je privilégie. **
Chez nous, nous mettons en pratique la durabilité au quotidien en veillant au tri des déchets, en favorisant le compostage pour notre propre jardin, et en proposant des formations, notamment sur la fresque du climat. C'est essentiel pour sensibiliser et éduquer les gens, et on estime qu’il faut commencer par nous-même.
Peut-on continuer à travailler avec tout le monde quand on est une agence ?
Non, il faut choisir avec qui vous collaborez en fonction de vos valeurs. Ce qui ne signifie pas travailler uniquement avec les entreprises faiblement émettrices et qui ont déjà tout bon. Par exemple, pour moi, l'énergie est un enjeu majeur, donc travailler avec Total non seulement ne me dérange pas, mais est très important, pour comprendre et aider à la mise en œuvre des chemins de progrès. En revanche, collaborer avec des marques de cigarettes me paraît problématique. Les addictions, surtout chez les jeunes, me préoccupent, et je pense qu'il est judicieux de s’abstenir de ces collaborations. Choisir soigneusement les causes que l'on soutient et les canaux de communication que l'on utilise est essentiel.
En la matière, il faut néanmoins se méfier des approches radicales, d’une part car les entreprises les plus vertueuses ne sont pas toujours celles qu’on croit, et d’autre part car le plus important est de les aider à évoluer. Par exemple, travailler avec Danone est fascinant car cela soulève des questions cruciales sur l'alimentation, son amont (l’agriculture), la manière dont elle influence notre santé, tant par ce que nous ingérons que par nos habitudes de vie. Danone s'engage pour la santé de multiples manières, tant en abordant des enjeux tels que la promotion du sport chez les jeunes qu’en travaillant avec la filière agricole sur la réduction des émissions de méthane des vaches, ou la préservation de la biodiversité.
Chez LVMH, le projet 'Living Soils' se penche sur la durabilité des sols et invite même à la collaboration avec d'autres acteurs même concurrents du secteur pour préserver la vitalité de nos terres. Il s'agit de sujets passionnants sur lesquels on peut agir pour soutenir des pratiques plus durables.
Comment le secteur de la comm peut-il réduire son impact ?
La Filière Communication, qui représente tous nos métiers et dont je préside l’association, a initié dès 2020 un travail important sur toutes ces questions. Nous avons tout d’abord pris sept engagements concrets, et engagé tous nos métiers dans la transition. Nous avons multiplié les prises de parole publiques sur l’importance de l’accord de Paris. Nos membres les plus importants ont souscrit des contrats climat. Nos principaux métiers ont mis au point des référentiels et calculateurs carbone, certains en open source, aujourd’hui opérationnels. Nous avons amplement diffusé des modules de formation à la communication responsable (plus de 1000 sessions), à la fois au sein de nos entreprises et dans les écoles de marketing et communication. Nous collaborons pro bono avec de nombreuses ONG dans les domaines de l’inclusion sociale et de l’environnement. Nous avons fait entrer la société civile dans la gouvernance de notre organisme autorégulateur, l’ARPP. Nous sommes considérés comme exemplaires, bien que nous ne soyons pas assujettis à l’obligation de la loi Climat résilience.
Mais notre force réside surtout dans notre effet de levier sur l’extérieur : les marques, les entreprises. La façon dont nous façonnons les imaginaires et invitons les consommateurs à adopter des comportements plus responsables est clé. Il n’y aura pas de transition sans communication : elle est nécessaire pour informer, mais au-delà, pour rendre désirables et aspirationnels ces nouveaux comportements.