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Thomas Firh, promouvoir l'aventure et le voyage responsable sans moraliser

No Bullshit
(7 mins)
Cette interview vous est présentée dans le cadre de “No Bullshit”, le média lancé par Captain Cause. Son ambition ? Être un shot d'inspiration pour mettre en avant les (bons) exemples des marques de demain ! Pour le second épisode, on s’intéresse à la communication non moralisatrice et aux marques qui sensibilisent sans moraliser.
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Partir à l'aventure avec Les Others, c'est simple ! Explorez les itinéraires recommandés par la carte Recto Verso, plongez-vous dans les récits de Les Others Magazine et écoutez les histoires captivantes du podcast Les Baladeurs. L'aventure est à portée de main/ clic !
Thomas Firh
, cofondateur et Président de
Les Others
, partage sa mission de "créer de nouveaux imaginaires autour du voyage et de l'aventure pour donner envie aux gens de passer plus de temps dehors" sans préjugé ni jugement, pour que chacun puisse s'en inspirer librement.

Dans 10 ans, vous aurez réussi votre mission si… ?

Sur les dix dernières années déjà, j’ai l’impression qu’on a réussi une partie de notre mission. On a entrepris de nombreux projets (notre revue papier, Recto Verso, le podcast) et le fait qu’on soit encore là est déjà bon signe. C’est rare pour un magazine indépendant de vivre aussi longtemps, et encore plus rare d’être rentable et encore en croissance. Côté audio, Les Baladeurs figure dans le top 10 des podcasts natifs les plus écoutés en France, c’est une belle réalisation.
Si on a réussi dans dix ans, c’est qu’on est plus dans le top 10 mais qu’on est numéro 1 ! On espère aussi que la méthode Recto Verso s'imposera comme la nouvelle norme pour l'organisation de ses aventures : une approche plus personnelle et des voyages plus lents, plus respectueux de l’environnement. On est convaincus que le fait de concevoir ses expériences soi-même (créer ses itinéraires, etc.) est le premier pas vers l'autonomie et la liberté ! Je pense donc que notre réussite sera aussi mesurée par la réévaluation de ces aspects dans la société.

Pourquoi avoir décidé de repartir à zéro en créant Recto Verso ? Pourquoi avoir pris cet angle très pratico-pratique ?

Au départ, en 2012, avec Les Others, on s’est vraiment lancé dans une approche “non-performance”. À cette époque dans les médias, la montagne, la nature et tous les sports outdoor en général c'était soit un sujet un peu poussiéreux, soit très axé sur la performance et au record. On a voulu se placer ailleurs : dans les récits, la littérature, l'esthétisme, la photographie, etc. On a vite pu constater que notre communauté était sensible à ce prisme là, et avait de nouvelles envies vis-à-vis de l’outdoor et de la nature.
Et au fil des années, ses membres ont voulu passer à l’action. Cela reflétait une tendance sociétale plus large où les gens aspiraient à s'engager davantage dans des activités, dans le sport, et à passer plus de temps à l'extérieur. On a créé Recto Verso pour leur fournir les clés. D’abord pour le plaisir de vivre des aventures personnelles, qu’on estime être pleinement vécues lorsqu'elles sont conçues et menées par soi-même et aussi dans une perspective de justice sociale et d'écologie pour l'ensemble de la société.
La Carte Recto Verso - Extension randonnée

Est-ce que la com' choc/alarmiste sur l'environnement marche encore selon vous ? Faut-il faire peur pour faire changer les comportements ?

Une chose est sûre, c’est crucial que tout le monde comprenne la gravité de la situation. Et aujourd’hui, vu le pourcentage de la population qui est climatosceptique, climatorassuriste ou qui pense qu’on va trouver une solution technologique miracle, on est loin du compte. À mon sens, on ne sera jamais trop choc et alarmiste par rapport à la réalité, qui pour l’instant est toujours pire que les pires des scénarios imaginés par les scientifiques. Si on n’écoute pas les scientifiques, on écoute qui ? Personne n’a jamais réglé aucun problème en le mettant sous le tapis.
Dans son livre sur la décroissance, l’économiste Timothée Parrique parle des reproches qu’on lui a faites sur l’utilisation du terme "décroissance". Sous prétexte qu’il va effrayer les gens et que ce serait contre-productif. Mais si on enrobe ce terme jusqu’à ne plus comprendre qu’il s’oppose à la croissance, à quoi il sert ?
Une fois qu’on accepte de regarder les choses en face, de manière très crue et très frontale, on peut se serrer les coudes pour trouver des solutions à la hauteur des enjeux. C’est ça le vrai combat. On prend souvent les écolos pour des pessimistes alarmistes, mais j’ai jamais vu autant d’intelligence collective et d’optimisme que dans ces cercles-là. Tenter de régler des problèmes ensemble, ça galvanise.

Comment vous y prenez-vous pour sensibiliser sans moraliser avec Les Others ?

Je pense que la sensibilisation ne consiste pas à dire aux gens de prendre le train parce que cela pollue moins. Mais plutôt de leur prouver que prendre le train c’est beaucoup plus cool, qu’on part des centre-ville, qu’on peut voir des beaux paysages, que le train de nuit est une aventure en soi. On veut tenter de faire changer les habitudes en donnant envie. D’ailleurs, Jean-Marc Jancovici disait dernièrement que la meilleure manière de faire passer les gens au vélo n’était pas de les convaincre que c’était meilleur pour l'environnement à long terme, mais simplement de leur faire constater des bénéfices concrets à court terme : comme une meilleure santé et des économies de temps et d’argent pour se rendre au travail. Les bénéfices à long terme pour l’environnement sont des effets secondaires positifs.
Pour résumer, le défi qui se pose est de susciter l'envie chez les individus de s'engager dans des actions en les rendant sexy et cool, avant même de mettre en avant les bénéfices environnementaux.
Le magazine - Les Others

C'est quoi le marketing responsable pour vous ?

Pour être totalement honnête, le "marketing responsable", c’est un peu comme “l’économie verte”, ça ne va pas vraiment ensemble. Mais la réponse qui s’en rapproche le plus est de promouvoir des produits plus responsables que leurs alternatives. Par exemple, avec Recto Verso, on vise à décongestionner les espaces naturels très fréquentés en répartissant les flux touristiques de manière plus équilibrée sur le territoire français. Le tout en informant sur les bonnes pratiques pour ne laisser aucune trace dans la nature. D’un point de vue sociétal, donc, si on promeut Recto Verso à la place d’une agence de voyages en avion, on fait du marketing responsable. Le produit final doit avoir une externalité positive, mais c’est pas toujours évident à mesurer.

Quels sont les 3 bons exemples de marques qui sensibilisent sans moralisation selon vous et pourquoi ?

J’aime beaucoup la marque
Hopaal
. C’est une marque de vêtement née dans le pays basque qui rend son modèle le plus clean possible et qui malgré sa petite taille prend de grandes initiatives, comme relocaliser ses usines de production ! Ils communiquent sans moraliser et prennent l’angle de la pédagogie, pour expliquer le problème de la fast-fashion et comment ils tentent de le régler. Il y a
Loom
aussi, qui est dans le textile aussi et qui encourage la création de collectifs entre les petites entités. Dernièrement, il y a
Hourrail
, une plateforme qui propose des itinéraires en train pour partir en voyage. Mais c’est drôle parce qu’il n’y a pas longtemps, ils ont fait un sondage sur leurs réseaux sociaux pour savoir si leur audience les trouvait moralisateurs. Et la réponse a été “oui”, alors qu’ils proposent simplement des itinéraires. Malheureusement, ça montre bien que dès qu’une alternative aux pratiques courantes est proposée, certaines personnes auront toujours tendance à se sentir jugées.

Vous avez expliqué que vous avez refusé plusieurs centaines de milliers d'euros d'annonceurs : pourquoi et comment est venu ce choix ?

Oui, on a refusé beaucoup d’annonceurs, et on continue de le faire. On dit non à ceux qui ne collent pas du tout avec nos valeurs, surtout pour des marques venant d'industries qu'on considère comme incompatibles avec la crise environnementale, type les SUVs, les compagnies aériennes ou d’autoroute par exemple. On refuse chaque mois des budgets bien plus gros que ceux qu’on se permet de prendre.
Mais on retrace la ligne à chaque fois et il y a toujours des exceptions. L'année dernière, on a travaillé avec Biotherm, qui opère dans un secteur où il y a vraiment du boulot côté durabilité. Mais après de long échange (on leur a demandé leur plan à 10 ans sur le sujet), ils nous ont convaincus que la démarche était sincère, d’autant plus que ça fait 10 ans qu’ils sont engagés pour l’océan, avec des partenaires associatifs sérieux. Si la marque n’est pas encore totalement clean mais qu’elle regarde dans la bonne direction, c’est bon pour nous. Mais c’est pas toujours évident à arbitrer.
Après, il y a aussi un sujet sur la propriété des marques. En France, une poignée de personnes possède une grande partie des entreprises, organisées en groupes qui ont des impacts considérables. On ne disqualifie pas ces marques d’office. Encore une fois, pour celles qui regardent au bon endroit, avec des valeurs qui nous parlent, ça peut fonctionner. La perfection écologique n’existe pas, et le dernier scandale des usines Patagonia l’a encore bien prouvé.

Quels sont les points de faiblesse, en termes d'impact, que vous n'avez pas encore réussi à résoudre chez les Others ?

On attache une importance énorme à l'impact de nos actions. C'est vraiment au cœur de tout ce que l'on entreprend depuis le premier jour. Difficile à dire, vraiment. On bosse sacrément dur pour minimiser notre empreinte environnementale. On ne promeut pas l'avion, on met en avant des produits responsables, on fait super attention à nos partenariats. On agit en toute sincérité, et pour le moment ça nous a plutôt pénalisé financièrement que l’inverse. Je crois qu’on est droit dans nos bottes. Après, on vient d’emménager dans des bureaux exposés sud, donc pendant les périodes de canicule, on sera peut-être obligés d’utiliser un peu de clim (rires).

Pourquoi avoir cofondé le collectif Itinéraire Bis ?

J'ai répondu à une proposition d’
Amélie Deloffre
, la fondatrice du média 2 jours pour Vivre, parce que nous avions cette même volonté de faire changer les mentalités. On partait du principe que pour provoquer des changements significatifs, il fallait tenter d’impliquer le maximum de monde. On est maintenant un bon groupe d’environ 25 personnes qui œuvrent toutes dans le même sens. On a créé un centre de ressources à disposition des pros du secteur du tourisme et des médias grand public pour les encourager à modifier leurs pratiques et la manière de parler de voyage à leur lectorat. Quand Le Figaro nous a contactés pour créer un top des 10 plus belles routes de France, c’était plus facile de leur expliquer pourquoi ce n’était pas une bonne manière de faire. Et de les rediriger sur ce genre de bonnes pratiques.
Merci à Thomas Firh d’avoir répondu à nos questions ! Pour recevoir la prochaine édition de No Bullshit dans votre boîte mail,
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