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Laurence Duchiron - La transmission comme valeur pilier

No Bullshit
(10 mins)
Laurence Duchiron est Directrice E-Commerce des marques iconiques Comptoir des Cotonniers et Princesse tam tam du groupe Fast Retailing. Passionnée par la mode et ses enjeux sociétaux, elle aborde les thèmes de la transmission, de la durabilité et de l’empowerment féminin. À travers son expertise en marketing relationnel et en transformation de marque, elle œuvre à créer des connexions authentiques avec les clientes, tout en repensant le futur du retail et de la consommation responsable.
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Pouvez-vous vous présenter brièvement ainsi que votre parcours ?

J'ai un parcours axé sur les longues expériences.
C’est le hasard total qui a fait que j'ai démarré dans la lingerie.
En sortant d'école, je voulais travailler dans le parfum. Je trouvais ça assez cool. Finalement, je suis tombée dans la lingerie. À l’origine, je n'avais pas un intérêt particulier, moi en tant que femme, pour cette catégorie là. Pourtant, j'ai eu une sorte de coup de cœur en arrivant dans cet univers. Résultat ? Au lieu de rester un an ou deux, j’y suis depuis plus de dix ans.

Quels sont les éléments qui ont contribué à ce coup de cœur ? Cette révélation ?

Ce que je trouve intéressant dans l'univers de la lingerie, c'est que ça dit quelque chose de la façon dont les femmes se comportent, dont les femmes ont une place plus ou moins importante dans la société. C'est une catégorie de produit au cœur de sujets de société comme l'empowerment féminin. Cela touche à beaucoup de sujets essentiels : la prise de parole, le rapport au corps, le bien-être, la confiance en soi, l'intime…
De cette façon, j'ai retrouvé des caractéristiques de choses qui me plaisaient initialement dans l'univers des cosmétiques et du parfum.

Puisque vous évoquez les enjeux de société, parlons de la dimension internationale de votre poste. Qu’est ce que cela implique d’un point de vue marketing ?

J’ai la chance de travailler dans des univers très internationaux.
Dans ma première entreprise, Chantelle, 80% du chiffre d’affaires était réalisé à l'international. La moitié de ce chiffre d’affaires était fait sur le marché américain. Or, là-bas, le rapport au corps et les attentes sont très différents d’ici. Par exemple, le soutien-gorge doit être absolument invisible. Cela implique donc de forts enjeux d’adaptabilité. Nous avons dû faire des ajustements sur tous les plans (produit, marketing, etc.).
J’ai évoqué cet exemple mais c’est le cas pour chaque marché, chaque pays.

Revenons maintenant à votre expérience actuelle. Vous opérez en ce moment un rapprochement entre les deux marques Princesse tam tam & Comptoir des Cotonniers. Pourriez-vous nous expliquer la vision marketing derrière ?

C’est d’abord une vision stratégique d’entreprise avant d’être une vision marketing.
Il y a quelque chose qui est de l'ordre de l'opportunisme. Il faut être assez lucide. Lorsque Tadashi Yanai, PDG de Fast Retailing, décide de racheter les marques Princesse tam tam et Comptoir des Cotonniers en 2006, il le fait dans une optique de croissance de son groupe. L’approche marketing arrive dans un second temps. Notre chance réside dans le fait que nous avons identifié des liens très forts entre les deux marques et avons pu s’en servir afin de construire une vision marketing solide.

Pourquoi, selon vous, a-t-il choisi de racheter ces deux marques en particulier ?

Je présuppose que la raison pour laquelle il choisit ces deux marques-là en particulier, c'est leur unicité sur le marché. Dans les deux cas, il y a une recette spéciale : des business familiaux, des idées affirmées, des marques très associées à la culture française. Cette approche était différente de celle des marques du groupe Fast Retailing et lui permettait ainsi de se diversifier. Par la suite, une fois que ces marques ont rejoint le groupe, automatiquement, ça les a rapproché. Il y avait quelque chose d'un peu plus sobre, quelque chose de l'ordre de la transmission.

En parlant de transmission, ça nous rappelle cette fameuse campagne mère-fille de Comptoir des Cotonniers. Pourriez-vous revenir sur cette opération qui a largement contribué à la renommée de la marque ?

Cette campagne, devenue iconique, incarnait effectivement à 100% ce concept de transmission mère-fille. Des castings étaient organisés. Les mères et les filles étaient candidates et portaient les pièces de la marque. En faisant ce choix, on montrait de façon très claire cette idée de transmission (de valeurs mais aussi de vêtements - presque comme un héritage). C’était une façon de dire “chez Comptoir des Cotonniers, nous faisons des vêtement de qualité qui passent de génération en génération”.
Campagne mère-fille de Comptoir des Cotonniers

Les cibles des deux marques étaient initialement très différentes. Comment avez-vous concrètement opéré le rapprochement ?

Les deux marques avaient le même siège, à Paris. De fait, petit à petit, cela a permis de constituer un bagage commun. Grâce à des études et enquêtes, on a par ailleurs constaté que les clientes lingerie Princesse tam tam achetaient aussi des habits côté Comptoir des Cotonniers, et vice versa. Il y avait un rapprochement qui se faisait naturellement.
Le constat a alors été clair : on avait deux marques qui permettent de couvrir l'entièreté du vestiaire féminin, autant capitaliser dessus et assumer ce positionnement.

Des articles publiés par Capital ont évoqué le fait que les prix des deux marques avaient baissé d’environ 30%. Est-ce pour répondre à de nouvelles attentes ? Pour faire face à un pouvoir d’achat limité ?

À l’origine, on ne s’était pas forcément posé la question. D’ailleurs, nos marques avaient au contraire augmenté les prix au fil du temps (cela allait de pair avec l’amélioration de la notoriété et de la perception client).
C’est au moment du rachat qu’il y a eu un virage radical. Tadashi Yanai, PDG de Fast Retailing, a souhaité que nos deux marques se rapprochent de la philosophie du groupe à savoir : proposer la qualité la plus haute au prix le plus accessible.
Cela a impliqué beaucoup d’ajustements et de remise en question. On a dû trouver tous les leviers possibles pour faire baisser les prix tout en maintenant la qualité de nos vêtements. Deux points clés qui nous ont permis d’avancer dans le bon sens : la baisse de nos marges et la création de synergies au niveau de la supply chain avec des fournisseurs du groupe.

Le groupe a annoncé vouloir fermer 55 magasins Comptoir des Cotonniers et Princesse tam tam en France. En parallèle, vous avez inauguré récemment une première boutique réunissant les deux marques. Est-ce que unir les forces des deux marques est selon vous un nouveau levier ?

C’est en tout cas notre intuition. Il nous reste maintenant à prouver que c’est un choix stratégique. Pour cela, nous faisons de nombreuses expérimentation : via des boutiques communes (rue Sainte-Croix de la Bretonnerie et au Forum des Halles), via des corners bi-marques (dans des magasins Uniqlo), via des communications communes. Prenons l’exemple de la newsletter. À l’origine, il y en avait une par marque. Nous avons rassemblé les deux et choisi des angles par thématique / ambiance. Pour les fêtes de fin d’année, on montrait aussi bien de la lingerie Princesse tam tam que des tenues de fête Comptoir des Cotonniers. Pour l’instant, les retours des clientes sont très positifs. On reste donc sur notre première intuition et prévoit de renforcer cette approche en termes de communication.

Vous avez également créé un club de fidélité commun aux deux marques. Combien de personnes ont rejoint le club ? Quelle part du CA est faite par les membres du Club ?

Les trois quarts de nos clientes sont dans le Club. Le taux d’adhésion est plus faible en ligne mais en boutique il peut monter jusqu’à 90%. Pour le chiffre d’affaires, je ne peux malheureusement pas vous partager ces données.

Beaucoup des récompenses associées au Club sont encore mercantiles (jours privilèges, ventes privées, échange sans ticket de caisse, etc.). Pourtant, on voit peu à peu apparaître une offre de service (retouches simples offertes, personal shopping, etc.). Est-ce en lien avec la stratégie RSE que vous commencez à déployer ?

En effet, c’est un tournant que nous sommes en train d’opérer. Quand tu fais un programme de fidélité, soit tu fais un programme transactionnel (plus tu dépenses, plus tu gagnes de points), soit tu fais du relationnel. Il nous a semblé que c'était plus logique de sortir d'un programme transactionnel.
Historiquement, Comptoir des Cotonniers n’avait pas de programme de fidélité et celui de Princesse tam tam était anglé sur le transactionnel. On trouvait que c’était enfermant d’avoir un système de points et de récompenses liées uniquement à des achats. On a préféré se concentrer sur le relationnel, quelque chose de plus serviciel (livraison gratuite, retouches prises en charge, accès aux ventes privées de façon privilégiée, un produit offert en cadeau d’anniversaire, etc.). C’est encore en construction aujourd’hui parce qu’il y a un fort enjeu de sensibilisation. J’aimerais que l’on pousse le curseur encore plus loin. Un jour, nos meilleures clientes auront accès à des rendez-vous dans les coulisses de la marque (invitations aux press day, coulisses de développement d’une collection, tables rondes au bureau, accès en avance aux prototypes, etc.).

Vous avez ouvert récemment un atelier de réparation. Un lieu où les client(e)s peuvent envoyer leurs pièces abîmées pour qu’elles soient réparées. Comment cette annonce a-t-elle été perçue par vos communautés (nombre de demandes, impact sur l’achat de produits neufs, etc.) ?

Pour revenir sur le contexte, pour Comptoir des Cotonniers, on travaille en collaboration avec Les Réparables et pour Princesse tam tam, on répare dans notre atelier. On peut ainsi proposer aux clientes, plutôt que de jeter une pièce ou de ne plus la porter parce qu’elle a un problème, de venir la déposer pour la faire réparer.
C’est très bien perçu mais il est difficile aujourd’hui de le mesurer en termes d’impact et de succès à proprement parler. À partir de quand peut-on dire que c’est une réussite ? Est-ce que c’est selon le volume ? Dans ce cas, ça veut peut-être dire plutôt que les vêtements ne tiennent pas suffisamment ? Pour l'instant, on se base sur un ressenti. Ça nous semble tout simplement essentiel et juste donc on le fait. La limite de ce programme c’est que cela demande encore un effort pour la cliente (faire la démarche, amener la pièce, attendre la confirmation sur la faisabilité pour la réparation, etc.). À nous de travailler pour réduire ces frictions et faire de la réparation une étape simple et logique pour toutes.

Sur votre site internet, vous avez créé une page Pour demain, ce qu’il nous reste à faire. Vous y mettez en avant 4 objectifs phares, dont un focus sur la durée de vie des produits (conseil d’entretien, réparation, etc.). Pouvez-vous nous en dire plus ? Si possible, avec des chiffres à l’appui ?

Pour moi, il y a un point essentiel : ce que tu fais concrètement pour réduire l’impact des vêtements au niveau de la fabrication. C’est là que nous pouvons avoir le plus d’impact positif. Sur cet aspect, il faut donc rester intransigeant.
Après, sur l’aspect durabilité, il y a plusieurs choses : l’éducation, les services et surtout la désirabilité. Un vêtement ça protège, mais surtout, ça incarne qui est la personne. La plupart de nos clientes n’ont pas envie d’avoir le même pantalon pendant vingt ans. Ça va donc à l’inverse de la déconsommation. Le marché de la seconde main permet de répondre à cette problématique. C’est pour ça que l’on veut continuer à pousser le sujet.

Il y avait eu une campagne sur le thème justement de la déconsommation avec l’ADEME. Quel avait été ton point de vue la dessus ?

J’avais regardé ces spots et à titre personnel je les trouvais bien pensés.
Après, vis-à-vis des marques avec lesquelles je travaille aujourd’hui, je ne me sentais pas directement concernée. On ne fait pas de tee-shirt à 2€. Chez nous, le message que la cliente reçoit tourne autour de la qualité. Il y a aussi ce message autour de la transmission, le passage de vêtements d’une génération à l’autre. Cela reste à nuancer parce qu’à partir du moment où on consomme et achète des vêtements, on est concernés par cette campagne.
Campagne sur la déconsommation (ADEME)

Avez-vous un autre point que vous souhaitez creuser ?

L’avenir du marketing doit tourner autour de la voix des clients.
Le consommateur va être plus acteur demain qu’il ne l’était aujourd’hui (et il l’est déjà plus qu’il ne l’était hier). Avec cette démarche, il nous oblige à nous remettre en question de façon sincère et rapide. Selon moi, l’avenir va aller vers une écoute toujours plus grande de nos clients. Je pense par exemple à des modèles on demand. Donnez-nous d’abord votre avis (coupe, couleur, prix, contraintes techniques, etc.), on produit ensuite.
Dernier point : la communication. Je pense qu’il n’y a plus aucun intérêt à avoir une image de marque où les messages transmis sont uniquement descendants. Au contraire, il est temps d’inverser la tendance et d'aller vers du bottom up. Rien n’est plus fort que si ce sont les personnes de la vie et non pas une égérie, qui communiquent et incarnent ces valeurs.
Nos clientes veulent prendre plus de place et on doit leur laisser cet espace.

Quel serait le/la prochain.e Décideur.se marketing que vous aimeriez voir témoigner dans No Bullshit ? Et la marque qui vous inspire le plus ?

Mathilde Lacombe
de la marque Aime. C’est l’univers de la beauté mais combiné avec un aspect médicamenteux et je trouve que l’enjeu d’un point de vue marque est très intéressant. Elle a réussi à rencontrer son audience très tôt.
Réalignez fidélité client et solidarité.
C'est parti !