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Julia Faure, l'authenticité et la transparence de marque

No Bullshit
(6 mins)
Cette interview vous est présentée dans le cadre de“No Bullshit”, le média lancé par Captain Cause. Son ambition ? Être un shot d'inspiration pour mettre en avant les (bons) exemples de ce qu'on considère comme les marques de demain : celles qui montrent qu’enjeux marketing et enjeux sociétaux ne sont pas incompatibles ! Pour le premier épisode, on s’intéresse aux marques qui font passer l’honnêteté avant la perfection.
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“Là où on galère encore”
, c’est le titre de l’une des pages du site de Loom, la marque de slow fashion qui souhaite transformer l’industrie de la mode. Et si, dans un monde où de plus en plus de marques nous promettent des engagements par milliers, l’authenticité était la clé ? Pour les marques réellement engagées, “parler cash” et avec humilité semble être le meilleur rempart au greenwashing. Retour sur cette démarche de transparence avec
Julia Faure
, cofondatrice de Loom, présidente du mouvement En mode climat, et co-présidente du Mouvement Impact France.

Avec sa devise “moins mais mieux”, Loom n’est pas une marque de vêtements comme les autres… puisqu’elle prône la déconsommation. Pensez-vous qu'il est possible d'allier enjeux business/marketing et mission d'impact ? 

Julia Faure - Dans le monde actuel, oui. Si l’on prend l’industrie textile, la fast-fashion doit décroître. Et pour ça, il faut que l’on consomme moins de vêtements mais aussi que le peu de vêtements qui continuent à être consommés soient faits dans de bonnes conditions. Cela doit devenir la norme pour tous les biens et services. Prenez l’exemple des téléphones : il n’est pas viable d'en changer aussi souvent : nous avons besoin de téléphones produits dans de meilleures conditions et qui durent plus longtemps, comme le propose Fairphone.
Alors, attention, dans certaines entreprises, à chaque point de croissance, c'est l’avenir du vivant qui est un peu plus hypothéqué. Mais pour les entreprises qui
repensent leur modèle
, oui, on peut allier business et impact.

Chez Loom, quelle est votre mission ?

La mission de Loom, c’est de faire des vêtements que les gens garderont le plus longtemps possible. À côté, avec
En mode Climat
, notre mission est de transformer l’industrie de la mode en faisant en sorte que la production et la consommation de textiles soient compatibles avec les limites planétaires et les objectifs de l’Accord de Paris qui permettent de limiter le réchauffement climatique à 2°C (ce qui est déjà une catastrophe).

Qu'avez-vous mis en place pour vous assurer d’aller dans le sens de cette mission ?

C’est tout le business model de Loom qui est construit autour de cette mission. Plus précisément, nous avons développé trois axes :
  1. Nous sommes quality-oriented. Toute notre énergie est tournée vers la qualité des vêtements que l’on produit. Cela passe par des tests, des itérations, des comparaisons avec ce qui existe sur le marché, l’écoute des retours…. Chez Loom, il n’y a pas une personne dédiée pour le SAV : toute la boîte s’en occupe. Je le fais une semaine sur cinq et mon associé aussi. Cela nous permet d’échanger régulièrement avec les clients et d’identifier rapidement et en continu ce qu’il faut améliorer dans nos vêtements. Et puis, on a une approche “ingénieur” du vêtement. Généralement dans la mode, une collection dure une saison, ce qui n’est pas suffisant pour faire des vêtements de bonne qualité. Donc, plutôt que de faire table rase tous les six mois, nous préférons améliorer, année après année, notre vestiaire intemporel. Nous mettons notre énergie sur l’amélioration plutôt que sur la nouveauté. Par exemple, suite à un questionnaire envoyé à nos clients, on s’est rendu compte que ce qui leur faisait racheter un jean était les trous d’usure à l’entrejambe. On a essayé de comprendre d’où venaient ces trous et on a fait 2 ans de R&D pour proposer
    une solution
    . On explique toute cette démarche
    sur notre blog
  2. Nous n’incitons jamais à consommer. La vraie raison pour laquelle on achète des vêtements, c’est parce qu’on est incité par les marques. Chez nous, il n’y a pas de pub, pas de promo. On n'essaie pas d’utiliser les biais cognitifs des consommateurs pour leur faire acheter des choses dont ils n’ont pas besoin. Dans notre boutique, nos vendeurs n’ont pas de bonus sur le chiffre d’affaires : si vous essayez un vêtement qui ne vous va pas, on vous redirige vers d'autres marques. Parce qu’on pense que pour garder un vêtement longtemps, il faut qu’il nous aille bien. Et de la même manière qu’on ne pousse pas à la consommation, on essaye de sensibiliser à ces pratiques en produisant des ressources, par exemple sur le piège des Dark Patterns (expliqué en BD) ou encore les soldes.
  3. Nous encourageons l’entretien et la réparation. Parfois, si on se débarrasse de nos vêtements, c’est qu’on les a mal entretenus ou qu’on a la flemme de les réparer. Sur notre blog, on publie régulièrement des articles sur les meilleures techniques d'entretien. Par exemple,
    “Comment enlever ses bouloches de pulls ?”
    ou encore
    “Mites : reconnaître leurs trous et les réparer”
    .
Article “Ne tombez pas dans le piège des Dark Patterns” - La mode à l’envers, le blog de Loom

Sur votre site, on peut découvrir une page “Là où on galère encore” : pourquoi ce choix ? Plus largement, comment s’exprime la volonté de transparence chez Loom ?

Déjà, nous ne sommes pas les premiers à avoir fait ce choix. Veja a été un pionnier sur la question. Ensuite, les entreprises qui disent “on fait tout bien” ne peuvent pas être sincères. Vouloir dire qu’on est parfait, c’est une manière d’endormir l’éco-anxiété ou la conscience sociale du consommateur. Or, on n'essaie pas de s’améliorer sur ces enjeux parce que les gens nous mettent la pression mais parce que cela fait partie de qui on est.
En permettant à chacun de comprendre nos enjeux, on s’adresse à leur intelligence. Au-delà de la transparence sur nos pratiques, il s’agit aussi de faire comprendre les enjeux complexes d’une industrie au plus grand nombre. Par exemple, on permet aux gens d’aller plus loin que la pensée réflexe : “la laine ne vient pas de France, dommage”. On explique la situation de filière laine française, le fait qu’il ne s’agisse pas de laine douce mais rustique, etc. Donc c’est aussi une manière d’apporter une vraie réponse à des questionnements légitimes quand on n’est pas du milieu.
Et puis, rendre cet état des lieux public, expliquer pourquoi il nous reste encore du chemin, c’est aussi une manière de nous forcer à avancer.

Que conseilleriez-vous aux marques qui souhaitent intégrer l'impact au cœur de leur modèle ?

Je pense que l’impact n’est pas un aménagement du système. L’impact, c’est l’urgence de faire rentrer notre économie dans les limites de notre planète. Et la première question à se poser, c’est : est-ce que le cœur de mon activité est
utile dans ce monde
? Vous pouvez avoir un service RSE “de ouf” : si ce que vous faites n’est pas compatible avec les enjeux actuels, le reste n’est que de l’enrobage.
Pour les entreprises qui ne sont pas impact native, il faut analyser ce qui ne va pas dans son secteur et se poser la question de l’impact de votre entreprise : est-ce qu’elle l’améliore ou le dégrade ? Par exemple, dans le textile, le problème réside dans la surconsommation et les conditions de fabrication. Si vous produisez à l’autre bout du monde et que vous incitez à consommer, vous aggravez les choses. Si vous relocalisez et renoncez à inciter à consommer, vous les améliorez.
Enfin, si l’on est bloqué dans ce système, parce qu’il y a aujourd’hui une “
prime au vice
” (si vous décidez de faire mieux, vous êtes moins compétitif), alors ce sont les règles du jeu qu’il faut changer. S’il était interdit de polluer ou d’exploiter les gens, nous n’aurions pas besoin de Chief Impact Officer dans les entreprises !

Face à la montée du greenwashing et à la méfiance des consommateurs, comment répondre à ceux qui pensent que ce type de démarche n’est qu’une manière de se différencier ?

Je n’ai pas d’autre moyen de démontrer l’engagement de notre marque que par l’exemple. Nos salaires sont plafonnés, nos investisseurs sont nos clients, nous n’essayons pas de grossir à tout prix… On ne peut pas tricher sur nos intentions. Je pense que c’est un travers de notre époque de pointer du doigt les plus engagés et de souligner leurs imperfections.
Faire bien, c’est aller à contre courant. Dans un monde qui valorise la croissance à tout prix et les bas prix, il est difficile d’échapper aux paradoxes. Au même titre que dans un monde où l’on peut difficilement vivre sans smartphone, on ne peut pas échapper au fameux : “T’es écolo mais tu as un smartphone”.
Est-ce que l’engagement est une différenciation marketing ? Eh bien oui. Loom n’existerait pas s’il n’y avait pas d’entreprises textiles destructrices à côté. Et je serais ravie de fermer la boîte le jour où il n’y aura plus de problème dans la mode et où l’engagement ne sera plus différenciant ! (rires)

La transparence est aussi un excellent levier pour permettre aux consommateurs de juger par eux-mêmes…

C’est vrai, mais ça ne se voit pas au premier abord. C’est à force de contacts répétés avec la marque que les gens peuvent se construire un avis objectif. Sur Loom, au-delà de parler de nos limites, on explique aussi ce qu’on sait du vieillissement de nos produits ou encore nos choix sur l’origine des produits. On essaye de parler à l’intelligence des gens en leur disant la vérité plutôt que de leur balancer des arguments pour les rassurer.
La confiance, ça a énormément de valeur. C’est quelque chose qui ne s’achète pas. Vous pouvez mettre un million en publicité Facebook, vous n’achèterez pas la confiance des gens. La confiance se construit, avec des milliers de petites choses.
Finalement, c’est ça notre stratégie d’acquisition : à long terme, à force de faire des bons produits, de dire la vérité, d’apporter de l'information, on crée une relation avec nos consommateurs qui vaudra mille programmes de fidélité.

Vous êtes aussi co-présidente de Mouvement Impact France, le mouvement qui regroupe les entreprises françaises à impact : quelles vont être vos priorités et prochains combats pendant ce mandat ? 

On voudrait éco-socio-conditionnaliser les aides et les réductions d’impôts. On veut faire en sorte que chaque fois que l'État apporte un euro à une entreprise, ces “cadeaux” soient conditionnés à un comportement écologique ou sociétal. Par exemple, on pourrait dire : il n’y aura pas de subvention publique tant que l’indice égalité homme-femme n’est pas respecté dans la boîte ou que l’obligation de publier son bilan carbone (pour les entreprises de plus de 500 salariés) n’est pas remplie. On pourrait aussi imaginer des choses plus ambitieuses : plus de subventions ou de réductions d’impôts pour les entreprises dont la production pollue trop.

C’est quoi, pour vous, le “no bullshit” pour une marque ?

C’est ne pas se voiler la face sur la réalité de son secteur. On a toujours tendance à tordre sa vision du monde pour avoir le beau rôle. Par exemple, même si les experts du GIEC disent qu’il faut sortir des énergies fossiles, les géants du pétrole diront toujours que les gens “doivent bien mettre de l’essence dans leur voiture”. Le No Bullshit, c’est une honnêteté intellectuelle sur le secteur dans lequel on évolue.
Merci à Julia Faure d’avoir répondu à nos questions ! Pour recevoir la prochaine édition de No Bullshit dans votre boîte mail,
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