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Secret Sauces : Jean-Pierre Nadir, voir grand, changer une industrie

No Bullshit
(7 mins)
Dans ce 11ème épisode de No Bullshit, on parle du tourisme comme levier d’apaisement du monde. Pour l’occasion, on a eu le plaisir d’échanger avec Jean-Pierre Nadir, Fondateur de FairMoove, la plateforme de voyage engagé incontournable et jury de Qui veut être mon associé.
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Vous avez créé la plateforme FairMoove avec la volonté de rendre le tourisme responsable plus attractif. Pour vous, c’est quoi le tourisme responsable ?

C’est une bonne question mais qui ne devrait pas être posée. Pour moi, le tourisme responsable est simplement un tourisme plus sain qui réconcilie les enjeux de la planète, des populations locales et du voyage.

Cela semble sonner comme une évidence. Pourquoi selon vous n’est-ce pas la norme aujourd’hui ?

Plusieurs choses. Le principal problème vient du fait que le secteur ait été perverti par les prix. La résultante c’est que les marques du tourisme ne prennent plus la parole sur les produits. Par ailleurs, on a d’une part les voyageurs qui se veulent du « bon côté de la barrière » (c’est-à-dire, rester en France et prendre le train) et de l’autre ceux qui veulent continuer pareil sans rien changer. La vraie question selon moi c’est : est ce que, si on arrête le tourisme, on sauve la planète ?

Et justement, le tourisme peut-il faire partie de la solution ?

Oui, j’en suis convaincu. D’ailleurs je précise qu’il s’agit de sauver l’humanité, pas la planète. La planète, elle, continuera qu’on soit là ou pas là. Ce qui va être perturbé, c’est le vivant, les gens. Est-ce que si on arrête le tourisme on sauve l’humanité ? Certains le laissent croire avec des marqueurs qui me semblent un peu faciles (voyager moins loin, éviter l’avion, etc…). Pour moi, c’est l’inverse. Avec cette approche, on accroît les problèmes du monde. Aujourd’hui, 3,5 milliards de personnes vivent avec moins de 3 dollars par jour. Le tourisme est une façon de faire venir des capitaux dans des régions où il y en a peu et de financer ainsi la transition et le déploiement de projets durables (retraitement des eaux grises, zéro plastique, infrastructures de transports publics, etc…).

Si je comprends bien, vous trouvez que pour être pertinent, l’impact du tourisme doitêtre évalué à une échelle plus large ?

Oui ! Le tourisme peut être à mon sens un levier d’apaisement du monde. Ce n’est pas le problème, c’est la solution à condition de poser des bases saines et solides. Il faut aller vers un tourisme de redistribution et pas de prédation (donc de petits prix). Il faut des marqueurs et des engagements sur le fond : des hôtels à destination avec une vraie démarche écologique, des partenaires locaux qui distribuent les gains à la population, des mesures pour accroître la dignité humaine (formation, recrutement, etc…).

Donc on ne peut pas partir du principe que les gens vont changer ?

Non. À mon sens, dire aux gens de ne prendre que le train, ce n’est pas réaliste. En Afrique, il n’y a pas un seul train. La raison ? C’est un mode de transport très onéreux et impossible à mettre en œuvre pour les pays pauvres. L’aérien est le seul mode de transport de l’Afrique. Donc, ça veut dire que plus personne ne doit aller là-bas ? Cela impliquerait de les isoler du monde, ce qui n’a rien de positif. Les estimations sont claires. L’aérien va passer de 3,5 à 7 milliards de passagers en 2030. Autrement dit, ça va doubler. La réalité c’est que pour convaincre, il ne faut pas être punitif et empêcher. Au contraire. Il faut encourager à faire, mais mieux. On va compter beaucoup de primo voyageurs (indiens, chinois, mexicains et pays émergents etc…). De quel droit leur dit-on nous on a bien profité mais pour vous c’est mort ? C’est un peu comme le discours de Yann Arthus Bertrand. Comment peut-il nous dire d’arrêter quand lui a fait 70 ans d’hélicoptère ? C’est un peu facile. Pour moi, on ne peut pas empêcher les gens. Par contre, on peut mettre en avant les bonnes pratiques et leur faire bénéficier des erreurs qu’on a faites et leur permettre de voyager mieux.

Auriez-vous des exemples avec FairMoove pour mieux se projeter ?

Bien sûr ! Un exemple très concret. Dans la majorité des hôtels en République Dominicaine, les buffets étaient issus de produits d’exportation venant des Etats-Unis. Autrement dit ? Les hôteliers faisaient le choix de proposer des repas « comme à la maison ». C’était une aberration. En plus de polluer, ce n’est pas bon et pas l’objectif du voyage. Les acteurs du tourisme doivent faire avec l’économie locale, proposer des produits issus de l’agriculture locale. Sur FairMoove, on a fait le choix de référencer des acteurs qui ont accepté d’enclencher cette démarche. Je pense par exemple au Dominican Tree House Village qui a fait le choix de proposer des produits locaux mais aussi des spécialités dominicaines.
Evaluation des séjours FairMoove

Et d’autres choses que vous imaginez au-delà de FairMoove ? Des projets qui vous sembleraient pertinents à déployer ?

Parlons de l’aérien puisqu’il cristallise tous les débats. Une chose est claire : il faut décarboner cette industrie. Comment ? Trois exemples. On pourrait déjà favoriser les vols directs. En effet, le tourisme mondial est bâti sur les vols indirects. Déjà parce qu’ils coûtent moins cher mais aussi parce que ça permet d’amener du monde dans les pays escales. Pourtant, ça augmente largement la pollution. Favoriser les vols directs permettrait de réduire l’empreinte carbone des vols concernés de 15%. Ce serait déjà énorme ! On peut aussi sensibiliser à la pollution et l’encourager à faire plutôt un voyage de deux semaines plutôt que deux voyages d’une semaine. Ça limite les trajets et le temps de voyage est tout aussi long. On peut aussi privilégier les compagnies qui privilégient l’éco pilotage. Enfin, un autre sujet sensible : les jets privés. Pour moi, ce serait stérile de les interdire. Il faudrait par exemple imaginer une loi qui leur impose de passer aux biocarburants. Avec cette stratégie, la demande augmentant, des entreprises vont se créer pour développer les filières et faire de ce carburant la norme. En somme, il existe des dizaines de solutions. Il faut repenser le socle du tourisme, les infrastructures mais pas le limiter.

Quel est le rôle du marketing dans tout ça ?

Central ! Il faut arrêter de montrer une belle photo de la destination avec une promotion au milieu. Pour moi, le marketing du futur, ce sera de montrer une déchetterie, un réseau de transports publics adaptés, des restaurants avec des produits locaux… Un bon marketing c’est par exemple l’Île Maurice qui montre qu’elle traite les déchets en disant “Chez nous, on ne pollue plus les océans”.

Le marketing sert donc à sensibiliser ?

Oui, il doit contribuer à changer les habitudes. Par exemple, si quelqu’un souhaite aller aux Maldives pour profiter de la plage, autant aller plutôt à Île Maurice. L’expérience sera aussi belle mais l’Île étant plus engagée, on pourra à travers cette action contribuer à soutenir une destination qui privilégie l’écologie et le futur. Autre exemple. En France, on sait qu’une nuitée d'hôtel c’est 10 kilos de CO2 par nuit. À Dubaï, ça pèse 250 kilos la nuit. En choisissant la destination, on peut prendre en compte ces éléments. Sur FairMoove, on guide les voyageurs dans leur choix. Chaque destination dispose d’une note écologique (le FairScore) calculée selon de nombreux critères. Il y a par exemple des bonus lorsqu’on peut se déplacer en train dans le pays ou qu’il y a un réseau de pistes cyclables.
Destinations FairScore

Un dernier mot pour la fin ?

Je suis pour une écologie des solutions. Une écologie qui engage le plus grand nombre vers des actions concrètes qu’elles soient grandes ou petites. Mon claim c’est d’être positif, responsable et joyeux. Une personne musulmane qui souhaite aller en pèlerinage à la Mecque, ce n’est pas Jean-Marc Jancovici qui va lui interdire de prendre l’avion pour y aller. Il a un rendez-vous avec Dieu, est-ce que quelqu’un pourra l’empêcher de se donner les moyens d’honorer ce rendez-vous ? Non. C’est une illusion. Il faut les sensibiliser et leur proposer des options à mettre en pratique.
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